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Journal intime de Manmohan (Mick) Panesar
Par Manmohan (Mick) Panesar
Pour les intellectuels et artistes irakiens, les
vendredis sont uniques à Bagdad. La ruelle des
libraires, comme elle est maintenant connue, est
devenue une institution. Car des milliers et des
milliers de livres usagers sont exposés tout au long
d’une ruelle au centre-ville de Bagdad.
Je marche le long de la ruelle, ne sachant pas trop de
quel côté je dois regarder. Sur chaque côté on peut
trouver des manuels, des romans, des biographies, des
journaux et des magasines anglais et arabes avec des
contenus étendus. ? un point, je me suis arrêté pour
regarder une biographie de Staline placée à côté de
plusieurs romans d'Agatha Christie et des travaux de
Heidegger, qui se tiennent contre une pile des
journaux médicaux périmés. La variété de la
littérature exposée indique la richesse de l'activité
intellectuelle à Bagdad.
La grande majorité des livres dont j'ai pris
connaissance datent d’avant 1980, indiquant ainsi les
effets de deux décennies de guerre et une douzaine
d’années de sanctions sur la vie intellectuelle en
Irak. Grâce à une certaine lecture avant de venir à la
ruelle des libraires, je sais que la plupart de ces
livres sont des collections personnelles qui ont été
offertes à la vente. La classe moyenne de l'Irak a été
dévastée par les sanctions et la guerre et beaucoup
d'Irakiens vivant confortablement autrefois sont
maintenant forcés de vendre leurs possessions -dans ce
cas-ci des livres - afin de vivre.
La ruelle est encombrée car des centaines de personnes
se serrent ensemble pour faire la lecture rapide des
livres exposés, la conversation et la négociation.
C'est une ruche d'activité. Mais les livres sont chers
: $5 américains pour un roman d'anglais sur lequel
nous nous sommes renseignés. C'est le salaire mensuel
pour un ouvrier irakien moyen. Je pense aux centaines
de livres que j'ai dans ma collection personnelle et
l'accès sans fin j’ai à d'autres livres au Canada. Je
me sens triste que ces personnes aient tellement peu
d'accès à la littérature que bon nombre d'entre eux
aiment de toute évidence.
Mary, ma camarade membre de l’?quipe de Paix pour
l’Irak, rencontre un couple d’étudiants dont
l’intensité et l'énergie lui rappellent les activistes
avec lesquels elle travaille au Canada. Ils expriment
l'anéantissement et le désespoir profonds. "Hier, j'ai
dit à mon ami que j'ai voulu me suicider", déclara
l’un d’eux.
? une extrémité de la ruelle, se trouve le Café
Shah-Bender, un établissement magique qui se
transforme chaque vendredi en un endroit de réunion
pour des intellectuels et des artistes qui se
rassemblent, fument et boivent du thé. Ici, les femmes
sont rares dans les cafés. Les artistes, auteurs,
poètes et universitaires se mêlent pour discuter de
sujets s'étendant du cinéma américain à la littérature
russe à la situation difficile des Arabes de marais
dans le sud de l'Irak. Tout excepté la guerre.
Pour les personnes qui ne parlent pas l’arabe comme
moi, le café fournit une occasion d'engager des
discussions riches avec les Irakiens qui parlent
anglais. Je suis présenté à Abu-Raafit, un monsieur
d'un certain âge, bavard avec une moustache et une
barbe de plus en plus grises. Il travaille comme
traducteur et quand je lui ai demandé s'il vient ici
chaque vendredi, il me répond avec un sourire, dans un
anglais presque parfait, "non, je suis ici chaque
jour."
"Plusieurs artistes et professeurs travaillent
maintenant comme traducteurs ou chauffeurs de taxi
pour survivre. Les salaires sont bas. Je travaille
comme traducteur et c'est ici que je travaille." Notre
discussion s'est concentrée sur son amour pour la
culture américaine. Rien n'étonne ici en Irak, je me
dis. Lui et un groupe de personnes qui lui sont
étroitement liées adorent la littérature et le cinéma
américains. Il a décrit un incident récent impliquant
un de ses amis proche et son auteur américain préféré
"nous prenions notre thé dans le café et nous avons
mentionné à Ibrahim qu'il y avait une copie d'un
nouveau roman de Sidney Sheldon en vente. Il couru et
passa la demi-heure suivante à sa recherche dans le
secteur que nous avons indiqué, harcelant le libraire.
Sa recherche était vaine puisqu’il n'y avait aucun
nouveau roman de Sheldon. Nous lui avons joué un
tour." Me dit-il en riant. Je ris trop mais davantage
en raison de son rire spontané que de son histoire.
J'imagine la frustration de son ami.
La nouvelle littérature est presque totalement absente
actuellement en Irak, et quand je regarde autour du
café les hommes bien-habillés, attirant, tournant les
pages pour lire leurs nouveaux achats, je pense aux
professeurs, aux artistes etc.., au Canada. Je pense
que plusieurs d’entre nous, gens du Nord, prennent les
livres pour acquis. Abu-Raafit et moi poursuirent
notre discussion au sujet de cinéma américain. Il
rappelle quelques uns de ses favoris, " The Last of
the Dogmen " mettant en vedette Tom Bellinger, " Bound
" avec Jennifer Tilley, " To Conquer a City " avec
Anthony Quinn, et " The Night of the Hunter" avec en
rôle principal Robert Mitchum. Timidement, j'admets à
mon nouvel ami que je n’ai vu aucun de ces films.
J'essaie d'orienter la discussion vers le sujet de la
guerre et des sanctions. mais il ne semble pas
intéressé à changer de sujet de conversation. " Ce qui
va arriver va arriver ». En tant qu'irakiens, nous n'y
pouvons rien" me dit-il en haussant son épaule. Quand
je lui ai demandé s'il aime également le cinéma arabe,
il rétorqua, "Non, je ne peux pas le supporter."
Pourquoi je demande, en lâchant un rire étouffé à
cause de sa réponse et je continue, "mais l'Egypte a
la troisième plus grande industrie de film dans le
monde, pourquoi vous avez une opinion si négative"?
"Les films arabes n'ont aucune morale à offir. Les
films américains en ont." énonca t-il comme si c'était
un fait.
Si ces vieux classiques américains contiennent en
effet des leçons morales, qui les écoute aux
Etats-Unis?
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