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Expérience et témoignage de Lisa, Le 6 février 2003
L'ÉQUIPE DE PAIX POUR L'IRAK | RAPPORT | Messages to

Expérience et témoignage de Lisa
Le 6 février

Je n’ai pas accompagné le groupe qui est allé à Basra, la ville dans le sud qui a connu le plus gros des bombardements. J’avais vu des images (parmi nous il y a un groupe de journalistes indépendants -Jaquie, Jérémie et Thorn- qui viennent de faire un reportage (ils ont gagné un prix) je pense qu’il est disponible sur leur site www.iraqjournal.org)… J’avais vu des images et je venais de visiter les enfants à l’hôpital. C’était en masse.

Hier, nous sommes allés à l’Université de Bagdad. C’est la semaine de lecture, mais nous avions une invitation du directeur du département d’anglais. J’y ai rencontré un jeune doctorant en littérature anglaise. Très sérieux en costume trois pièces. Au début, il m’expliquait son champ à lui: la poésie. Anglaise ! Je lui ai demandé pourquoi il aimait la poésie et il m’a dit que c’est plus court que le roman. Ça m’a fait rire. Je ris beaucoup. Je ris depuis que A un réfugié iraqien en Jordanie m’a demandé de ne plus pleurer. Il est à Amman: Depuis plusieurs mois, il attend un visa pour pouvoir quitter le pays et rejoindre sa femme et ses enfants qui sont à l’extérieur chez sa sœur. Il est content qu’ils aient pu sortir. Ils lui manquent beaucoup. Il est très gentil et il était saoul à midi. Il est chrétien J il a le droit J.

Il nous racontait son histoire et je me disais que ce sont des situations qui nous concernent directement. Combien avons-nous de réfugiés au Canada au Québec, à Montréal ? J’en ai Braille comme si c’était la première fois que j’entendais ce genre d’histoires. Alors que ce n’est pas le cas.

S’il y a une guerre ici, (et tant qu’elle n’est pas là elle n’est pas là ) ce sera comme un match de foot à la télé. D’un bord le piétage, en direct si possible et de l’autre l’analyse en direct de Washington ou de Paris ou de Londres. Et on ne verra pas les gens ici. Du monde bien ordinaire, parfois extraordinaire, peut-être même des gens haïssables mais même de ça y en a partout.

Avant mon départ, on regardait les annonces publicitaires à la télé, et mon père me faisait remarquer qu’on ne voit jamais le travail nécessaire pour générer le revenu pour acheter le produit ou le service annoncé. Et c’est exactement ça. On ne voit pas ce qu’il y a derrière. Et c’est comme si c’était convenu de ne pas en parler.

Au département d’anglais, avec le doctorant en littérature anglaise, nous nous sommes d’abord pas trop regardés, nous étions assis sous une photo de Shakespeare, dans un vieux sofa de velours dans le grand salon du directeur. Il nous a servi à tous du café turc dans les petites tasses de porcelaines que nous avons dégusté le petit doigt en l’air. De leur côté, Mary et Mick discutaient avec un prof de «modern drama» d’« en attendant Godot ».

Les messieurs du département étaient tous en trois pièces, petite mallette de cuir à la main, anglais British impeccable. La bâtisse est poussiéreuse, les vieux pupitres d’un autre temps, les salles de classes minuscules et sans fenêtres, le tableau gondolée. C’est pauvre, propre mais poussiéreux et délabré. J’ai pensé au « tiers monde » mais je me souviens avoir pensé ça en descendant d’un minibus qui nous avait amenés de Montréal à New York pour 75$. Je voyais New York pour la première fois, c’était en août, il faisait chaud et ça puait les poubelles.

Nous étions donc assis le jeune monsieur et moi sur le vieux sofa rose et nous avons discuté. Au début, il était coincé : lunettes dorée années soixante dix, un pli sérieux au front, un léger pincement de lèvres. Un monsieur très bien ça se voyait tout de suite. Un peu conservateur, juste ce qu’il faut. Sans aucun doute le boute du boute de son département. Je ne sais pas ce qui l’a fait sourire la première fois (la prochaine fois je ferai attention) mais moi aussi ça m’a fait sourire et on parlait plus bas. Nous avons parlé de la richesse du pays. Il m’a demandé ce que je connaissais de l’Irak. J’ai palabré un peu; pas grand chose finalement. Il m’a demandé d’où je tirais mes connaissances. Alors je lui ai dit des livres, des histoires, du journal aussi, surtout ces derniers temps, de l’internet. J’ai voulu savoir pourquoi il me posait la question et il m’a répondu qu’il voulait savoir comment les Irakiens étaient perçus par les gens de l’extérieur. J’essais surprise qu’il se rende vulnérable (je pense que c’est là qu’il a souri). En fait, il aime beaucoup l’Amérique. Je ne sais pas si je dois dire Amérique ou Occident. Autant je lui parlais de Mésopotamie, de mille et une nuits, du berceau des civilisations etc., autant pour lui c’est exotique, comme au cinéma. (Il aime les films d’action parce qu’à l’entendre parler nous étions tous dans une mission impossible avec Tom Cruise et plein de gadgets). J’ai dis quelque chose de bête du genre : Le cinéma c’est tout truqué. Il m’a demandé quels films canadiens je préférais, j’ai parlé des films de chez nous mais j’ai pas trop eu l’impression qu’ils ont été distribués ici. La veille, le seigneur des anneaux passait à la télé. Sous-titre en arabe.

Nous avons parlé de cette notion de « tiers monde » et de sous-développement. Il se sentait sous-développé et ça me faisait tout drôle à ma négritude d’en parler à un arabe alors que juste avant je tenais pour l’occident. Je venais de lire les identités meurtrières d’Amin Maalouf.

Ce n’est pas vrai que les pays « sous-développés » sont pauvres. C’est une pauvreté fabriquée qui laisse des traces pendant des générations. Ici, par exemple, il y a plein de pétrole. Je me suis demandée l’autre jour si les Irakiens avaient même besoin d’emprunter s’ils voulaient faire des rénovations.

À Amman j’avais rencontré un monsieur, un ingénieur, politisé, organisé qui m’a fait un dessin de la région. Il s’occupe entre autre des réfugiés palestiniens ; ils sont très nombreux en Jordanie. Plus nombreux que les Jordaniens. Et avec les histoires de guerres et de sanctions, il y a plein de réfugiés irakiens qui s’y ajoutent. Des camps supplémentaires ont été sous contractés dans l’Est de la Jordanie. D’un doigt sur la table il a tracé le croissant des pays arabes. Et le tuyau de pétrole qui traverse de Haïfa jusqu’à l’autre bout. Et tous les endroits sous influence américaine. Et ceux qui le sont moins. “ Tu vois c’est de ça qu’il s’agit”. Et quand je lui ai demandé est-ce que l’afflux de réfugiés pose problème aux jordaniens pour les jobs et tout ça. Il m’a regardé un peu froidement et m’a dit: « penses-tu que c’est le moment de faire les chichis, les Américains n’en feront pas. » C’est lui qui m’a dit que dans cette histoire ils se sentaient tous Irakiens.

J’ai très peur que cette guerre déborde de partout. La violence quand ça commence c’est difficile de l’arrêter.

J’ai arrêté de pleurer, c’est déjà ça. C’est A à Amman qui me l’a demandé. A est chrétien. Quand nous nous sommes rencontrés, il m’a demandé “es–tu chrétienne?» J’ai répondu que parfois oui, mais pas toujours et il a ri. Je lui ai dit combien j’étais fâchée avec l’Église, je lui ai demandé comment il s’en sortait lui avec la foi. Et il m’a dit que lui il croit depuis la dernière guerre: une bombe a éclaté pas loin de lui et il s’en est sauvé. Depuis, Jésus est son ami. Il m’a fait promettre de ne plus pleurer sur notre sort parce que nous au moins nous connaissons la valeur de la vie. Pour lui ce sont les autres qui sont à plaindre.

C’est vrai que c’est une chance de pouvoir être ici et voir et rencontrer tous ces gens avec plein d’histoires. Comme celle du doctorant dont j’ai appris que le nom signifie pluie. Mais ça c’est une autre histoire.

J’ai l’intention de rester ici encore quelques semaines. Tout dépendra de mon visa. Je viens d’arriver et j’aimerais avoir la chance d’apprécier davantage et les gens et l’œuvre à laquelle nous travaillons ici.

Je vous embrasse fort Lisa

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