L'ÉQUIPE
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Rapport Baghdad, 1 au 6 avril 2003
Hier soir nous avons eu droit à deux bombardements qui
nous ont fait lever de nos chaises et se poser la question si nous
ne devions pas descendre dans l'abri. Heureusement ce fut l'accalmie
juste après. Ce sont les plus intenses que nous ayons subit
dans notre secteur depuis le 20 mars. C'est avec beaucoup d'émotions
que j'assiste ce matin au départ de 14 membres de l'équipe,
particulièrement celui de Lisa et Zéhira de Montréal
et des autres Canadiens, Stewart Vriesinga et Lisa Martens. Les
dernières nouvelles nous informent que l'Irak en est à
600 civils de morts et à 4000 blessés. Toutes des
victimes humaines et innocentes. La vie reprend lentement dans la
ville.
Compte tenu que Baghdad est une ville extrêmement grande
soit 100klm du nord au sud et presque autant d'est en ouest et que
les bombardements s'effectuent ici et là à l'intérieur
de ce périmètre et que les gens s'attendaient à
une attaque massive, ce qui n'est pas le cas, de plus en plus de
commerces et des marchés publics sont réouverts et
très achalandés et la circulation automobile augmente
en densité croissante chaque jour. Jusqu'à présent
nous n'avons annulé aucune une sortie, où que ce soit
dans la ville. À chacun de ces déplacements nous apercevons
de nouveaux édifices ayant été bombardé.
April, Charles, Jooneed et moi rencontrons le directeur de l'hôpital
Kindi, docteur Houssama Saaleh. Dans la seule journée d'hier
ils ont reçu 45 blessées provenant de deux quartiers,
Al Ameen et Al Dhahliyeh et dans lesquels 7 personnes sont décédées.
April s'informe d'un blessé qui serait arrivé ici
le 30 mars. Ali Isamël Eadan, 12 ans. Il a eu les deux bras
brûlés et arrachés ainsi que tout l' abdomen
brûlé au 3ième degré. Il est le seul
survivant du bombardement de deux maisons voisines où habitaient
tous les membres de sa famille soit 17 personnes, toutes mortes.
Le docteur Saaleh nous offre d'aller le rencontrer mais nous refusons.
Il nous montre des photos sur son ordinateur d'avant et après
son opération. Ça n'a rien à voir avec les
services que reçoivent nos grands brûlés. Dès
le lendemain il était dans une chambre avec d'autres blessés
et sans installations différentes des autres. Le docteur
en profite pour nous montrer une série de photos de personnes
de tous âges qui furent tués ces derniers jours pendant
des bombardements. Je n'avais encore jamais vu de telles horreurs;
Des corps carbonisés, déchiquetés, en pièces
détachées, des moitiés de têtes et en
j'en passe. Sur demande il nous en fait des copies sur disquettes.
Il mentionne qu'avec les problèmes de communications les
gens transportent les blessés dans des boîtes de camions
où en autos ce qui aggravent le plus souvent leur cas ou,
des gens sans expérience tentent d'aider les blessés
mais empirent leurs états. Plusieurs personnes sont décédées
en arrivant à l'hôpital pour ces raisons. Il signale
que depuis les sanctions économiques ils manquent de ressources
pour renouveler leurs équipements tels les scanners, l'imagerie
à résonance magnétique(IRM), et autres équipements
de radiologie qui leurs sont indispensable pour travailler efficacement.
L'achat de seulement 100 ambulances pour tout le pays a été
autorisé par L'ONU au cours des deux dernières années.
Ils n'ont pas le choix de travailler q'avec les moyens du bord puisque
ces appareils doivent être importés et les importations
sont interdites. En après midi nous visitons un autre site
bombardé hier dans le quartier Al Ameen situé dans
l'est de Baghdad. La bombe a éclaté dans les airs
au-dessus de deux maisons. Les milliers de fragments du missile
ont tué 2 jeunes filles de 3 ans et un jeune garçon
de 5 ans en plus de blesser 12 personnes. Nous visitons la maison
de M. Haeden Abdul Mohammed qui a perdu 2 enfants. Nous remarquons
les milliers de trous fait par ces fragments sur la maison, à
l'intérieur et à travers des barils de métal.
En examinant différents fragments nous notons des inscriptions
: RADOM NOT PAINT, RESEAR 01 1365S, SEASTROM, YAW A2MP3 9003ASS,
MFR 9621 et le plus intéressant : JX2N3902 MADE IN USA 8642.
Il est difficile de se tromper sur l'origine de ce missile. Autre
nouvelle, un entrepôt, à Basrah, contenant 75,000 tonnes
d'aliments que les autorités distribuaient en ration quotidienne
à la population, a été bombardé par
les Américains.
2 avril 2003
Ce matin, les quatre derniers résidents du Andalus, membres
de IPT, devons déménager à l'hôtel Al
Fanar compte tenu que notre équipe est réduite à
quatorze membres. Communications et sécurité obligent.
Nous héritons de chacun une chambre individuelle avec une
magnifique vue panoramique. Je suis à la chambre 306 avec
toutes les commodités d'un bon hôtel. Jooneed et moi
accompagnons le docteur Yarub Al Shiraida, originaire d'Irak et
vivant à Edmonton au Canada depuis 27 ans. Il est ici depuis
un mois à travailler avec l'organisme Life for Relief and
Development, qui a un statut de consultant avec le Conseil Social
et Économique des Nations Unis (www.lifeusa.org ) en collaboration
avec Irak Red Crescent Sociéty. L'Organisme est ici depuis
1993 et a participé à réparer 10 centres de
traitement des eaux, reconstruit 34 écoles primaires et mis
en place 4 centres de formation en informatique. Le Canada fourni
$200,000. par an et les États Unis $1 millions. Pour venir
en aide à la population sinistrée pendant cette guerre
l'organisme a mis en place des services d'urgence. Nous visitons
deux hangars dans lesquels des produits sont entreposés puis
distribués dans le pays. Il y a présentement 50 tentes
de six personnes, 2000 couvertures dont 4000 viennent d'être
distribuées, 4000 récipients de plastique dont 6000
déjà distribués, des poches de lentilles, de
fèves, de riz, et autres qu'ils emballent en portion familiale,
des bouteilles d'eau et d'huile végétale et de pâte
de tomate et autres vivres qui seront distribués. D'autres
organismes tels Human Relief Foundation, Enfant du Monde, Bridges
to Bagdad et CARE entreposent aussi ici. De ce lieu nous allons
dans leur bureau où des gens sont à préparer
des centaines de trousses d'urgences dont chacune contient des produits
de premiers soins, une lampe électrique, deux batteries,
une paire de ciseau et un gros savon. En arrivant à l'hôtel
nous apprenons qu'un centre de foire, situé dans le quartier
de Al Mansur, a été bombardé à plusieurs
reprises et totalement démoli. Le bureau de direction de
Irak Red Crescent Sociéty qui est situé tout près
de ce centre a été endommagé et il y aurait
des blessés parmi le personnel. À 14h15 nous assistons
à la conférence de presse du ministre de l' information,
Muhammad Sa'ied Al Sahaf. La salle de l'hôtel Palestine, qui
est devenu le nouveau centre de presse depuis le bombardement de
l'original, est bondée de journalistes et de caméramans.
Le ministre fait sa critique des gouvernements américains
et anglais et annonce qu'il y a eu environ 90 blessés et
10 morts parmi la population civile dans la seule soirée
d'hier et détaille la provenance de ces victimes à
travers le pays. Il parle de la tactique du booby trap, pratiqué
par les Américains, qui consiste à lancer au sol des
menus objets tels des jouets, des crayons et autres pour faire sortir
les enfants des maisons et pendant qu'ils ramassent ces objets ils
les bombardent. Si cette déclaration est véridique
nous pouvons se demander jusqu'ou peut aller cette folie meurtrière.
Il annonce la destruction de 7 tanks, 2 hélicoptères
apaches et de 10 transporteurs. Hors conférence nous apprenons
qu'une récompense de 10 millions de dinars ($3,300.US) est
offerte à toute personne qui dénoncera un espion.
C'est une petite fortune ici par les temps qui courent. La journée
fut encore fertile en bombardements. Je commence à me demander
sérieusement à quoi ils veulent en venir avec cette
forme d'attaque en démolissant des édifices vides
et en tuants des civils dans leurs maisons privées. Pourquoi
les troupes terrestres n'avancent-elles pas et ne se mesurent telles
pas contre des militaires au lieu de s'en prendre aux civils sans
défense ? L'Irak n'a pas de défense aérienne
faute d'avions, où est le défit des pilotes américains
et anglais puisqu'ils sont seuls dans les airs. Est-ce pour le plaisir
de lancer des missiles et de se donner une raison du devoir accompli
? Est-ce une expérimentation de leurs nouveaux armements
soit disant de précision ? Combien de victimes ont-ils besoin
pour faire leur évaluation ? En plus d'être une guerre
illégale elle est injuste et dépourvue de sens. Ça
commence à ressembler à des crimes de guerre totalement
gratuits.
3 avril 2003
Nous avons droit à une nuit très active en bombardement
et en riposte.Je retourne à l'hôpital Kindi avec Bettejo
pour aller donner des crayons à colorer et cahiers de dessins
à cinq jeunes enfants sérieusement blessés
dont une jeune fille qui a perdu la moitié d'une jambe. Bettejo
a apporté un appareil polaroïd avec lequel je les photographie
avec leurs mères et/ou grands-mères pour ensuite leur
donner les photos. Nous avons fait des heureux et ils nous le démontrent
très chaleureusement. Je n'ais pas fait documenter ces blessés
pour ne pas briser le sympathique atmosphère qui y régnait.
Au retour nous allons à deux conférences de presse.
Le ministre de l'information fait ses annonces de réussites
au combat en qualifiant les troupes anglaises et américaines
de mercenaires. Il dément les informations à l'effet
que les mercenaires gagnaient du terrain et qu'ils étaient
sur le point de conquérir Basrah. Il dit que l'armée
irakienne a un parfait contrôle de la situation. Le ministre
du commerce dénonce les attaques aux entrepôts d'alimentation
à Basrah, à Nasiriya qui souffrent d'approvisionnement
et à Bagdad. Il met l'accent sur les importantes pertes de
lait et de yogourt prévu pour les enfants. Nous perdons l'électricité
à 20h et la génératrice de l'hôtel nous
alimente jusqu'à 23 h.
4 avril 2003
Nous avançons nos montres d'une heure aujourd'hui. Depuis
hier soir nous avons perdu l'électricité. Nous ne
savons pas encore si elle a été coupée par
les Irakiens pour pouvoir mettre en place leur système de
défense ou si les installations ont été bombardées
par les attaquants qui, apparemment, s'approchent de plus en plus.
Il est difficile de savoir car plein de rumeurs circulent et les
informations diffèrent selon les sources. Les journalistes
ne peuvent savoir eux non plus car ils sont confinés dans
l'hôtel le Palestine et dans la cour extérieure et
n'ont pas accès au front. Ils ne voient rien de plus que
nous même. Je serais curieux de voir et d'entendre ce qu'ils
transmettent au Canada. Pendant un temps ils essayaient de se coller
à nous pour profiter de nos autorisations de visite. Notre
escorte a mit fin à cette pratique après deux jours.
Ils ont l'air d'une meute de loup en cage prêt à mordre
celui ou celle qui a réussi à obtenir une information.
Avec cette coupure d'électricité ils sont plus dans
la merde que nous car lis n'ont plus d'eau ni d'électricité
aux chambres. Certains journalistes ont leur propre petite génératrice
pour leur ordi et pour une petite lampe. Notre hôtel dispose
d'une génératrice qui nous désert tous les
services. À 13h Zaid, notre escorte, nous informe que des
centrales électriques furent bombardées par les Américains
avec des missiles particuliers fait de fibres de verre lancés
à l'intérieur des centrales et non à l'extérieur.
Aussi, il nous annonce que 800 missiles ont été tirés
dans la nuit d'hier, que l'aéroport de Baghdad, qui se situe
à trente kilomètres, est sous le contrôle américain,
que deux ponts et des routes menant à Bagdad ont été
bombardés et que 33 voitures de civils en provenance d'Iran
ont été tirées et les occupants tués.
Il est très préoccupé pour notre sécurité
et nous avise d'être encore plus prudent particulièrement
pour les photos et autres appareils dont nous ne disposons pas comme
des walki talki et autres appareils de transmission. Il nous conseille
même d'aller dormir dans l'abri puisque car, incluant hier,
il est prévu deux autres nuits intenses de bombardements.
Il quitte la réunion pour nous laisser méditer là
dessus entre nous. Nous révisons ensemble notre plan d'urgence
et nos provisions advenant que nous devions s'isoler, vérifions
notre budget pour être certains de ne pas avoir à dépendre
des autorités d'ici pour quitter le pays puisque les coûts
augmentent de façon faramineuse au fur et à mesure
que les Américains approchent, se rappelons l'attitude à
prendre et les consignes à suivre si nous sommes capturer
par l'armée américaine ainsi que par les autorités,
qui eux nous connaissent très bien, qui décideraient
de se servir de nous comme boucliers humains. Tous sommes prêt
à faire face à la musique et personne ne se sent suffisamment
insécurisé pour aller dormir dans l'abri ce soir.
Personnellement je considère que ce secteur est possiblement
le plus sécuritaire de la ville puisque les deux gros hôtels
qui nous voisines débordent de journalistes et autres internationalistes
et qu'il est peu probable qu'ils soient une cible désignée
car si c'était le cas l'image des attaquants en prendrait
tout un coup et cela se retournerait très rapidement contre
eux. Il est minuit pendant que j'écris ces lignes au son
excessif de la grosse génératrice de l'hôtel.
En même temps, dans cette ville éteinte, dans le ciel
partiellement étoilé s'intillent de petites lumières
provenant d'un type de tirs qui produit des crépitements
réguliers suivis d'un gros boum.
5 avril 2003
Les tirs de différentes tonalités retentissent régulièrement.
Lorsque notre génératrice s'est tue à minuit
et que mon ordi s'est éteint, je me suis rendu à la
chambre de Martin au 5ième étage. Avec Marinella,
l'Italienne de l'équipe qui est déjà sur place,
nous discutons jusqu'à deux heures, des mots, utilisés
dans nos langues respectives, qui ont une résonance à
caractère violent. Pendant les dernières minutes,
du balcon, nous observons d'intenses rayons de lumière rouge
qui apparaissent de façon intermittente dans deux secteurs
distincts de la ville. Il ne fait aucun doute que des combats sont
en cours. À peine coucher, à 3h, deux sons de tonnerre
retentissent coup sur coup. Les gros canons résonnent jusqu'au
fond de ma chambre. Toute la nuit la porte de ma chambre claque
légèrement à chaque tir d'intensité
moyenne parce que je laisse ma porte patio ouverte de quelques centimètres
pour éviter que les vitres éclatent avec la pression
d'air produite par les tirs. À la réunion nous discutons
de nos positions individuelles advenant l'invasion des alliers et
du contenu de la déclaration de IPT qui est en cours de préparation.
Il se dessine deux camps, les modérés et ceux qui
optent pour la provocation des envahisseurs. La conclusion reste
en suspend mais chacun est d'accord pour respecter les positions
de chacun. Vers midi des voitures de polices circulent dans les
rues, toutes sirènes activées, photos de Saddam exhibés
par les fenêtres, tirs de pistolets dans les airs, des gens
qui accourent sur le bord des rues en échangeant le signe
de peace avec les doigts, pour annoncer que 5 tanks américains
viennent d' être détruits à cinq kilomètres
d'ici. La joie se lie sur les visages. Notre escorte nous paie le
dîner à nos chauffeurs et à nous tous pour célébrer
cette victoire; Bien petite selon moi ! Une heure plus tard, deux
gros autobus bondés de journalistes passe prêt de notre
hôtel. Nous sommes certains qu'ils se dirigent vers ce site
de combat mais j'apprendrai plus tard qu'ils n'y sont pas aller
mais qu'ils ont été conduit à un hôpital
sans rien n'y voir, même à cet endroit. Toutefois,
Jooneed a plus de chance qu'eux. Zaide accepte qu'il s'y rende avec
un chauffeur à la condition de ne prendre aucune photo, ni
de notes et que la voiture ne fasse que passer sans s'arrêter.
Il observe effectivement cinq tanks alliés démolis
mais aussi 3 camionnettes détruites qui transportaient des
milices irakiennes. Aucune idée du nombre de victimes. Cette
fois il est clair que nous venons d'entrer dans une autre phase
de cette guerre. L'invasion dans Baghdad est en cours. L'artillerie
devient présente et visible dans les rues. Dès ce
matin nous pouvions observer les rues désertent pour faire
place aux véhicules de guerre. Toutefois notre secteur semble
encore privilégié puisqu'un seul tank du pays n'a
été aperçu. Il n'a fait que passer. Il s'en
est fallu de peu pour que l'on soit déménagé
au Andalus parce que le proprio du restaurant Al Fanar n'a pas apprécié
que Zaide commende à l'extérieur le repas du midi.
Ce dernier n'a pas apprécié la réaction du
proprio et nous a dit de faire nos bagages mais nous avons refusé.
Nous verrons demain s'il y aura des suites. Sans lien avec cette
histoire, Martin, qui a acheté hier tout ce qu'il faut pour
préparer à manger, nous invitent tous à souper
dans la chambre du bureau, question d'économies pour l'équipe.
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