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Report-36: C'est votre pays maintenant / Kathy Kelly
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C'est votre pays maintenant.

Kathy Kelly, Équipe de Paix en Irak 21 avril 2003

Je suis présentement assise à Amman à cause de Sattar. Hier matin, il m'a conduite de Bagdad jusqu'ici. Nous avons traversé, en silence, les rues fracassées et ruinées. C'est son histoire qui m'a convaincue de partir.

Pendant trois semaines, nous avons attendu nerveusement des nouvelles de Sattar qui, depuis 1996, était notre compagnon irakien le plus proche. Quel soulagement, il y a quatre jours, de le voir entrer finalement dans le lobby de l'hôtel. "S'il te plait, Sattar", l'ai-je supplié, "partage avec nous les oranges et les dattes que nous avons en haut". "Merci", dit-il, "j'observe le jeûne aujourd'hui". Il ne nous expliqua pas exactement ce qui motivait son jeûne, pas plus qu'il ne nous révéla de détails concernant la grosse bosse enflée sur son front.

Au début de la guerre, il avait amené sa famille vivre avec des parents hors de Bagdad. Après plusieurs jours, il était retourné pour vérifier l'état de la maison familiale. Un missile avait frappé une maison avoisinante et deux frères manquaient. Sattar s'est alors rendu à l'hôpital Saddam dans le quartier pauvre et dangereux d'Al Thawra pour les chercher. "J'ai trouvé la situation terrible", dit-il. "Beaucoup, beaucoup de gens demandaient de l'aide. Une famille avec cinq blessés s'était déplacée d'une place à une autre, cherchant de l'aide, et quand finalement ils sont arrivés à cet hôpital, les cinq membres de la famille étaient morts. J'étais venu pour demander des nouvelles de deux personnes, mais je me suis dit, ici il y a tellement de personnes qui ont toutes besoin d'aide. Alors j'ai demandé au médecin si je pouvais lui être utile".

Sattar a joint ses efforts à ceux de treize volontaires qui aidaient trois médecins alors qu'ils soignaient des centaines de patients. "Au début, j'ai juste aidé en apportant les médicaments et en déplaçant les patients. Vous savez, avant je ne pouvais même pas regarder les gens souffrir, le sang, les blessures. Mais j'ai commencé à apprendre comment faire des injections intraveineuses. Je pouvais nettoyer des blessures et mettre des pansements". Il a travaillé à hôpital pendant douze jours. "Il y a un médecin, nommé Thamer", nous dit Sattar avec une certaine admiration, "et il est resté dans la salle d'opération pendant deux jours et deux nuits, sans aucune pause, effectuant 75 opérations d'urgence. Nous entendions des coups de feu à l'extérieur, mais heureusement, plusieurs cheikhs et imams ont pu protéger l'hôpital".

"Si vous allez à cet hôpital, vous pourrez y être témoin de toutes sortes de scènes en même temps", continua-t-il. "Des gens qui essaient de tuer, d'autres qui tentent de voler, d'autres qui essaient d'aider en nettoyant l'hôpital, en préparant de la nourriture, en ramenant des patients, des cheikhs et des imams qui prodiguent des conseils".

Quelques médias occidentaux sont venus à hôpital et ont interviewé Sattar. Un journaliste a voulu pousser l'idée que les Irakiens devraient être reconnaissants pour leur libération. Sattar essaya d'expliquer l'ampleur des souffrances dont il avait été témoin, mais le journaliste insista pour donner à l'entretien une tonpositif. Sattar lui dit alors : "Partez maintenant".

Des larmes lui remplissaient les yeux en décrivant ce qu'il avait vu sur les routes en conduisant à Bagdad. "J'ai vu de mes propres yeux plusieurs chars protéger le Ministère du pétrole. Ils ont besoin des cartes et des informations. Mais ils ne font rien pour aider la population, les hôpitaux, les entrepôts de nourriture. Les compagnies américaines essaient déjà de réparer les raffineries de pétrole afin de produire de 2 à 6 millions de barils par jour; ceci va faire chuter le prix du pétrole. Ils peuvent contrôler le prix du pétrole pour servir les intérêts américains".

Il aussi vu un char d'assaut étasunien devant un énorme site d'entreposage, où était stockée une quantité de blé et de riz suffisante pour une ou deux années. Il a entendu un officier américain avec un accent koweïtien donner l'ordre au char de faire exploser l'entrée et ensuite dire aux gens qui étaient là debout "Prenez ce dont vous avez besoin. Ensuite, vous pouvez y mettre le feu".

Douze jours plus tard, Sattar est retourné voir sa famille pour leur faire savoir qu'il allait bien et pour ramener son frère Ali à Bagdad. À un point de contrôle, un soldat américain le questionna. "Je portais des jeans et, en essayant d'être amical, il a touché la jambe de mon pantalon et il m'a dit : 'C'est bon ça'. Je lui ai répondu: 'Oui, mais ils ont été fabriqués en Chine, pas aux États-Unis' ". Surpris de voir Sattar parler anglais, le soldat lui demanda :"Êtes-vous content que nous soyons ici?"

"J'ai répondu 'Non' -les yeux de Sattar se sont encore remplis de larmes- je souhaiterais avoir tué avant que vous ne nous détruisiez. Vous avez détruit nos maisons et notre 'grande maison' (Bagdad). Maintenant, vous devriez rentrer chez vous".

Son frère essaya de le retenir : "Es-tu fou?" demanda Ali. "Qu'est-ce que tu es en train de dire?"

Le soldat dit à Sattar : "Je pourrais te tirer dessus maintenant".

"Oui", lui dit Sattar, "tu peux le faire. Personne ne peut te faire quoi que ce soit. Vous êtes forts maintenant, mais attendez trois mois. Qu'allez-vous dire aux gens alors? Vous ne pouvez pas gérer la situation vous-mêmes. Vous n'êtes pas en mesure de protéger les civils contre eux-mêmes".

Comme beaucoup de résidents de Bagdad, Sattar n'en revient pas de ce qui est arrivé à la Garde Républicaine et au régime à Bagdad. "Oum Qasr est un petit village. Et ils ont pu résister pendant 15 jours. Pouvez-vous imaginer que toute la puissance concentrée à Bagdad n'ait pas pu résister deux jours?"

Il resta silencieux pendant quelques instants sombres. "Rien n'a changé", dit-il. "Seul Saddam est parti".

"Que vas-tu faire maintenant?" lui demandai-je. "Demain" me dit-il, "j'irai en Jordanie pour reprendre mon travail de chauffeur".

J'ai grimacé. Un homme doué, courageux et aimable, un ingénieur civil bien instruit et souffrant de ne pouvoir mettre ses qualifications en pratique, lui qui n'a jamais joint les rangs du parti Ba'ath, qui s'est efforcé pendant plus d'une décennie de préserver les valeurs simples de sa foi et de sa culture, doit reprendre un travail de chauffeur et ramener plus d'Occidentaux pour reconstruire son pays ravagé par la guerre.

"Au moins, Sattar," dit Cathy Breen tristement, "maintenant vous n'aurez plus autant de problèmes à aider des Américains à franchir la frontière".

"Vous avez raison", dit Sattar. "C'est votre pays maintenant".

Peu de temps après le départ de Sattar, Cathy Breen et moi avons décidé de faire nos valises.

Thomas Paine a déjà dit: "Mon pays est le monde. Ma religion est de faire le bien". Je ne veux pas de pays. Mais un énorme travail nous attend, aux États-Unis, pour essayer de convaincre les gens que nos styles de vie de surconsommation et de gaspillage ne valent pas le prix payé par ceux que nous conquérons.

En atteignant la région d'industrie laitière d'Abou Ghraib, en conduisant hors de l'Irak, une puanteur terrible remplit l'air. Nous avons été informées que beaucoup de cadavres humains et de bétail jonchaient le sol dans ce secteur. C'est sur cette portion de la route que nous avons croisé une longue file de véhicules de l'armée américaine, phares allumés, arrivant pour remplacer les "Marines". Le convoi vert olive ressemblait à un cortège funèbre. J'ai ressenti une vague de soulagement en songeant que des compagnons de Voices in the Wilderness demeuraient à Bagdad. Un jour, dans un proche avenir, j'espère les rejoindre. Mais, pour le moment, je dois trouver une manière de dire, clairement, "Non, Sattar, l'Irak n'est pas mon pays".

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