L'ÉQUIPE
DE PAIX POUR L'IRAK | RAPPORTS
|
LES DROITS DE LA PERSONNE A L'AMÉRICAINE
IV
Depuis que les États-Unis se sont approprié
leur pétrole, les Irakiens survivent de charité
Plus de 4 millions dIrakiennes et Irakiens
ont perdu leur emploi suite à linvasion de leurs pays
par les Etats-Unis. Pour évaluer létendue du
drame que représente ce chiffre, il faut le multiplier par
cinq pour avoir les 20 millions dIrakiens (femmes et enfants)
qui survivent de tout et de rien dans lindifférence
des nouveaux maîtres de lIrak, occupés à
leur stratégie de pillage et de sous-traitance du pouvoir
dans ce pays.
Depuis les premiers bombardements à ce jour,
soit près de 6 mois, les travailleurs et leurs familles sont
sans ressources et leur situation se détériore de
jour en jour. Pour revendiquer dans ce quon appelle pompeusement
le «new Irak», ils ont créé lUnion
des travailleurs sans emploi. Cette organisation a fait de nombreuses
démarches auprès des forces doccupation, sans
le moindre résultat. Elle a une nouvelle fois mobilisé
ses membres pour une autre manifestation ce mardi 29 juillet sur
la rue Abou Nouas. Le rendez-vous a eu lieu dans lédifice
dune ancienne banque brûlée durant la guerre,
et dans laquelle le parti communiste irakien a élu domicile.
Dailleurs, les travailleurs sans emploi nétaient
pas seuls à ce rendez-vous. Dautres groupes daction,
tels lOrganisation pour la liberté de la femme irakienne,
le Syndicat des travailleurs irakiens, entre autres, sont venus
les soutenir. Il y avait une grande effervescence tout autour des
locaux du parti. Environ 800 personnes rassemblées par petits
groupes animaient la rue, tandis que dans les bureaux, à
lintérieur de lédifice, se déroulaient
des entrevues et autres rencontres avec les journalistes venus couvrir
lévénement. On finissait de préparer
pancartes et slogans.
«Cest la 8e manifestation que nous
faisons depuis le 1er mai 2003», déclare Kacem Madi,
secrétaire général de lUnion des travailleurs
sans emploi. Il soutient que cette action sera différente
des 7 autres qui lont précédée. Les manifestants
sont prêts à poursuivre leur action jusquà
lobtention de leurs droits, cest-à-dire un emploi
ou une allocation de chômage. En réalité, ils
savent tous quils nauront pas demploi, puisque
toutes les infrastructures qui ont été détruites
par larmée étasunienne sont restées en
létat. Et même les commerçants ne peuvent
plus travailler du fait des bandits et autres voleurs qui les dépouillent
de leur marchandises en chemin. Pour tous ces travailleurs, lUnion
demandent une allocation chômage jusquà ce que
les forces doccupation rétablissent la sécurité
et lemploi en Irak.
Il ny a pas encore de statistiques pour savoir
exactement combien dIrakiennes et dIrakiens ont perdu
leur emploi du fait de la guerre. Selon Kacem, il y en aurait environ
4 millions. Parmi eux, une grande majorité qui ne dispose
daucun revenu depuis six mois. «Cest en soi une
véritable tragédie pour ces familles qui ont déjà
tant perdu dans cette guerre», souligne Kacem Madi.
LUnion quil représente a organisé
8 manifestations pour les mêmes revendications: un emploi
ou une allocation de chômage. «À chaque manifestation,
raconte-t-il, les représentants des forces doccupation
nous reçoivent, discutent avec nous, nous promettent de régler
le problème, mais, toutes les fois, les promesses ne sont
pas tenues et nous sommes obligés de descendre à nouveau
dans la rue». Du Major Patterson à David Jones (du
programme pétrole contre nourriture) en passant par dautres
responsables américains, militaires et civils, lUnion
na rien obtenu que des promesses sans lendemain. Doù
le changement décidé dans son programme daction.
La manifestation de ce mardi a lieu sous une chaleur
torride et les manifestants, nullement découragés,
criaient des slogans pour la démocratie, lemploi et
la fin de loccupation. La manifestation sest ensuite
dirigée au siège du Conseil «quon appelle
communément El-Beit Al-madani. Pendant près dune
heure les manifestants ont scandé leurs slogans devant lédifice
gardé par les soldats américains équipés
dartillerie lourde. Plus tard, la manifestation a viré
au sit-in. Cétait la nouvelle initiative introduite
dans le programme de protestation de lUnion des travailleurs
sans emploi. Ils avaient pris la résolution détablir
une tente en face de lédifice et de marquer une présence
permanente. Ils appellent cette action « la désobéissance
civile». Tout ce quils eurent des Américains,
cest un ultimatum «à la Bush»: Dispersez
la manifestation, sinon pas de discussion!
Évidemment, les travailleurs irakiens, encouragés
par la présence des médias et les messages de soutien
qui parvenaient de lextérieur et surtout, instruits
par les précédentes rencontres infructueuses, refusent
de se soumettre et décident de poursuivre leur action et
de camper sur le site comme prévu. Nest-ce pas un droit
démocratique que de manifester pacifiquement? Pourtant, les
choses vont vite virer à la dictature. À 20h30, une
première visite des soldats venus demander aux manifestants
de quitter les lieux. Ces derniers exhibent lautorisation
de manifester qui leur a été accordée et refusent
dobtempérer. Les 3 soldats sont repartis pour revenir
plus nombreux vers 1h du matin, pendant le couvre-feu. Ils ne sont
pas venus pour discuter. Ils ont envahi la tente et arrêté
toute la permanence, soit 21 personnes, qui seront emmenées
et enfermées dans une salle. On les a rassemblées
dans un angle de la pièce, on les a faits asseoir au sol
et on les a isolés avec des barbelés. Ils ont été
détenus dans ces conditions, sans eau, sans nourriture jusquau
lendemain 11 heures. «On ne pouvait même pas bouger,
déclare Ali Djaafri, la cinquantaine passée, javais
très mal aux genoux et aux jambes, mais à chaque fois
que jessayais de me mettre debout pour soulager ma douleur,
les soldats me criaient " sit down! ". Cétait
très humiliant. À aucun autre moment de loccupation,
mon ressentiment envers les soldats américains na été
aussi fort. Jai pleinement pris conscience de ma situation
de colonisé et javais honte devant les plus jeunes
Irakiens du groupe. Jaurais préféré être
mort que de vivre cela à 58 ans».
Amar Djaafri est lun des 120 000 membres
de lUnion des travailleurs sans emploi. Il a travaillé
toute sa vie dans une administration locale qui a complètement
brûlé après avoir été pillée
et vandalisée comme la grande majorité des infrastructures
de lÉtat irakien. Le pays nétait pas à
la fine pointe de la technologie. Presque tout fonctionnait en version
papier: université, administration, hôpitaux, etc.
Toutes leurs archives ont péri dans les feux. Ce qui fait
dire à Khaled, un autre travailleur sans emploi: «Aucun
autre pays na connu le type de colonisation que nous vivons
en Irak. Larmée étasunienne a rasé tout
ce qui constituait la vie irakienne. Nous navons plus de repères
où que ce soit.»
Par le fait de brûler les archives dun
État, de détruire lhistoire et la culture dun
peuple, les Etats-Unis, il est vrai, ont commis un crime sans précédent.
Que ce soit pour les travailleurs, pour les étudiants ou
pour toute autre partie de la société irakienne, ils
sont unanimes pour dire que lavenir naugure rien de
bon. Et tous sy préparent, notamment en sorganisant
pour lutter contre loccupation de leur pays. «Il y a
35 millions dAméricains qui vivent dans la pauvreté
et linjustice aux Etats-Unis, cest impensable que les
autorités américaines établissent une démocratie
pour les Irakiens!déclare Kacem de lUnion des travailleurs
sans emploi».
Bagdad, le 4 août 2003
Zehira Houfani (écrivain et journaliste),
membre montréalais de léquipe Projet de Solidarité
pour lIrak (PSI/ISP)
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